Professionnels de santé et loi anti-cadeaux : comment réagir en cas de convocation de la DGCCRF ?

   
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L’actualité politique a mis en lumière les poursuites actuellement en cours à l’encontre des pharmaciens dans le cadre de « l’affaire Urgo ».

 

La Loi d’Encadrement des Avantages, plus connue sous le nom de Loi dite « anti-cadeaux », vise à garantir l’impartialité et l’indépendance des professionnels de santé dans le cadre de leurs relations avec l’industrie.

 

Ce dispositif « anti-cadeaux » initié par la loi n°93-121 du 27 janvier 1993 a été réformé successivement en 2017 et 2019, et a vu son champ d’action s’étendre.

 

La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) est chargée du contrôle du bon respect de ces dispositions. En cas de suspicion de manquement à celles-ci, elle se réserve le pouvoir de convoquer les professionnels de santé impliqués. Suite à ces investigations, elle peut transmettre toute affaire au Ministère public.

 

Plusieurs laboratoires pharmaceutiques et professionnels de santé se sont déjà vu contraints de répondre de manquements au « dispositif anti-cadeaux » devant les Juridictions.

 

Le 28 novembre 2017, deux pharmaciens étaient jugés par le Tribunal correctionnel de Lons-le-Saunier, pour abus de confiance et manquements aux dispositif « anti-cadeaux ». Ils avaient notamment perçu des chèques cadeaux offerts par un laboratoire pharmaceutique. Le premier pharmacien a été condamné à une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis et au paiement d’une amende de 10.000 euros. Le second a été condamné à une amende d’un montant de 6.000 euros.          


La pratique du laboratoire pharmaceutique fut, quant à elle, sanctionnée par le prononcé d’une amende à hauteur de 40.000 euros.

 

Le 04 avril 2018, la chambre criminelle de la Cour de cassation confirmait un arrêt de la Cour d’appel de Paris condamnant trois sociétés de fournitures de matériels dentaires sur le même fondement. Ces dernières auraient proposé d’offrir aux professionnels de santé un séjour à New-York pour deux personnes pour toute commande de matériel dentaire d'un montant supérieur à 2.000 euros  


Ces sociétés furent condamnées au paiement d’amendes respectives à hauteur de 75.000, 40.000 et 20.000 euros.

 

Encore aujourd’hui, la DGCCRF veille activement au respect de la Loi d’Encadrement des Avantages.

 

C’est ainsi que, le 27 janvier 2023, une enquête a mené à sanctionner pénalement à hauteur de 6,6 millions d’euros des pratiques du groupe URGO, ces dernières constituant un manquement massif au dispositif dit « anti-cadeaux ».

 

Les Laboratoires URGO et URGO Healthcare, filiales du groupe URGO, avaient élaborés, entre 2015 et 2021, sur l’ensemble du territoire national, une stratégie commerciale basée sur l’octroi d’avantages en nature illicite à des pharmaciens d’officine.

 

Le groupe URGO, à l’instar de ses concurrents, proposait aux pharmaciens, lors de commandes de produits de la marque, une remise contractuelle sur le prix d’achat de ces produits. Cette pratique s’illustrait comme tout à fait légale.

 

Cependant, il leur offrait également une option consistant à renoncer à ladite remise en échange de l’obtention de « points ». Le cumul de ces points permettait l’acquisition de divers biens matériels dont la valeur correspondait au montant de la remise prévue.

 

Or, un tel système a été jugé comme constituant un avantage illégal, susceptible de poursuites judiciaires.

 

En effet, le Tribunal Judiciaire désigné pour trancher le litige a considéré que cette technique était anticoncurrentielle et contrevenait à la loi visant à protéger l’indépendance des professionnels de santé.

 

Pour ces faits, le groupe URGO a été sanctionné pénalement pour octroi d’avantage illégal.

 

À ce jour, la valeur des cadeaux offerts par le laboratoire URGO est estimée à près de 55 millions d’euros et concernerait environ 8.000 pharmaciens, soit presque un tiers de la profession exerçant en officine.

 

L’enquête de la DGCCRF s’étend désormais aux professionnels de santé ayant bénéficié de ces avantages illégaux, lesquels sont convoqués pour répondre de ces pratiques.

 

Vous êtes professionnels de santé et convoqué par la DGCCRF, cet article est fait pour vous !

 

Afin de réagir au mieux, il convient pour vous :

 

I. D’appréhender les dispositions portées par la loi dite « anti-cadeaux »

II. De saisir les pouvoirs de la DGCCRF dans la répression de ses atteintes

III. D’analyser les sanctions encourues et l’attitude à adopter

 

I. COMPRENDRE LA LOI DITE « ANTI-CADEAUX »

 

La loi d’Encadrement des avantages est entrée en vigueur en 1993 et fixe le régime de l’octroi d’avantages aux professionnels de santé.

 

Après avoir été réformée à deux reprises, en 2017 et 2019, son champ d’action a été étendu. Ces réformes s’inscrivent dans le sillage de l’affaire Médiator et répondent à une exigence de transparence accrue.

 

Le dispositif anti-cadeaux s’inscrit en réponse à deux impératifs :

1/ L’un d’ordre sanitaire : seules les considérations de santé publique doivent guider les actes de prescription et de délivrance des produits de santé  

2/ L’autre d’ordre économique : les pratiques opaques d’octroi d’avantages perturbent le bon fonctionnement du marché et alourdissent le coût des dépenses de santé pour la collectivité.

 

Ainsi, il encadre les avantages offerts aux professionnels de santé par les entreprises du dispositif médical afin de lutter contre la corruption dans le domaine de la santé.

 

Ces dispositions sont codifiées aux articles L1453-3 à L1453-6 du Code de la santé publique.

 

A. Quelles interdictions ?

 

Le dispositif anti-cadeaux pose une double interdiction :

- L’interdiction pour les laboratoires pharmaceutiques « d’offrir ou de promettre des avantages en nature ou en espèces, sous quelque forme que ce soit, d’une façon directe ou indirecte » à toutes les professions de santé réglementées par le Code de la santé publique ;      

- L’interdiction pour les professionnels de santé de « recevoir des avantages en espèces ou en nature, sous quelque forme que ce soit, d’une façon directe ou indirecte ».

 

Ainsi, sauf exceptions prévues par les textes et développées ci-après, vous ne pouvez accepter de la part d’un laboratoire pharmaceutique une somme d’argent ou des cadeaux sans enfreindre le dispositif instauré par la loi anti-cadeaux.

 

B. Qui est concerné ?

 

Initialement adressé aux médecins, le dispositif anti-cadeaux a étendu les acteurs concernés au fil des réformes successives.

 

L’interdiction de recevoir des avantages s’applique notamment à l’ensemble des professionnels de santé, aux étudiants et aux associations regroupant ces professionnels ou étudiants.

 

Les pharmaciens se voient appliquer ces interdictions depuis une Loi de 1999.

 

C. Quels avantages sont concernés ?

 

Ce dispositif anti-cadeaux vise désormais tous les produits de santé à visée médicale et non plus seulement les produits remboursés par la sécurité sociale.

 

Restent limitativement exclus de ce dispositif les avantages qualifiés comme ayant « une valeur négligeable », c’est-à-dire :

- Les repas et collations : maximum 30 € dans la limite de deux années civiles

- Les livres, ouvrages ou revues : maximum 30 € par livre, ouvrage ou revue dans une limite de 150 € par année civile

- Les échantillons de produits de santé ou exemplaires de démonstration : maximum 20 € dans la limite de trois années civiles

- Les fournitures de bureau : maximum 20 € au total par année civile

- Les autres produits ou services se rapportant à l’exercice de la profession : maximum 20 € par année civile

 

D’autres avantages sont permis, à titre dérogatoire, et limitativement énumérés à l’article L1453-7 du Code de la santé publique. Leurs montants sont plafonnés.

 

Les avantages visés sont notamment les rémunérations, indemnisation ou défraiement d’activités de recherche, les dons et libéralités aux fins de financement d’activités de recherche ou à destination de certaines associations, l’hospitalité offerte, le financement d’actions de formations professionnelles.

 

Pour autant, ils doivent faire l’objet d’une convention entre l’entreprise et le professionnel concerné. En fonction du montant, la convention sera transmise à l’Ordre et soumise à déclaration ou à autorisation.

 

En cas de doute sur la licéité de l’acceptation d’un avantage, nous vous invitons à vous rapprocher de votre Ordre qui saura vous éclairer.

 

II. LE CONTRÔLE DU RESPECT DE LA LOI ANTI-CADEAUX PAR LA DGCCRF

 

La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) est un service administratif de régulation rattaché au ministère de l’Économie.

 

Elle intervient dans tous les champs commerciaux, y compris concernant l’activité des professionnels de santé, ses missions se déclinant en trois volets :

- La régulation concurrentielle des marchés

- L’information loyale les consommateurs contribuant à leur donner confiance dans l’acte d’achat

- La préservation de la sécurité des consommateurs

 

À ce titre, figure parmi ses attributions le contrôle du respect de l’application de ce dispositif anti-cadeaux, en application de l'article L1454-6 du Code de la santé publique.

 

Après avoir mené les investigations ayant conduit à la condamnation du groupe URGO, le viseur de la DGCCRF s’oriente désormais vers les professionnels de santé.

 

Depuis plusieurs semaines, de nombreux pharmaciens sont convoqués et entendus dans le cadre d’une audition pénale libre pour avoir accepté, en violation de la loi anti-cadeaux, des avantages en nature entre 2015 et 2021.

 

Cette enquête et ces auditions devraient se poursuivre pendant plusieurs mois compte tenu de l’ampleur de ces pratiques.

 

III. LES SANCTIONS ENCOURUES

 

En tant que professionnel de santé, l’acceptation d’avantages ou de cadeaux est constitutif d'un délit, puni jusqu'à un an d'emprisonnement et jusqu'à 75.000 € d'amende pour les personnes physiques.

 

Vous pouvez également voir cette peine être assortie des peines complémentaires suivantes :

- L’interdiction temporaire ou définitive d’exercer une profession de santé règlementée

- La confiscation des cadeaux litigieux 

- L’affichage de la décision prononcée

- La diffusion de la décision de condamnation ou d’un communiqué

 

Il est donc important pour le professionnel de santé concerné de bien préparer son audition et d'être assisté d'un Conseil.

Article rédigé par Flavien MEUNIER et Océane GUILLET

A propos de l'auteur

Photo de Flavien  MEUNIER

Avocat au Barreau de NANTES Master 2 en Droit Communautaire – Juriste en Droit de l’Union Ex-Chargé d’enseignement à l’Université d’Angers Membre... En savoir +

Domaines d'activité :

Droit immobilier Droit public Droit de la santé
Photo de Flavien MEUNIER

Flavien MEUNIER

Avocat au Barreau de NANTES

Master 2 en Droit Communautaire – Juriste en Droit de l’Union

Ex-Chargé d’enseignement à l’Université d’Angers

Membre de l'Association Française des Avocats-Conseils auprès des Collectivités Territoriales

Arbitre sur le site https://madecision.ejust.law/

Titulaire d’un Master 2 en Droit Communautaire – Juriste en droit de l’Union (Université Rennes 1), Flavien MEUNIER a intégré le cabinet LEXCAP en avril 2005 en tant que Juriste et a prêté serment en décembre 2008.

 

Flavien MEUNIER exerce principalement dans trois domaines différents :

 

Tout d'abord, il exerce ses fonctions de conseil et de représentation des personnes publiques et privées dans tous les domaines du Droit Public et de la Construction.

Compte tenu de la complexité de la matière administrative, Flavien MEUNIER a particulièrement orienté son exercice dans les domaines de la fonction publique, l'urbanisme et les contentieux liés à la responsabilité.

A ce titre, il conseille et assiste ses clients tant en phase gracieuse qu’en phase contentieuse devant les juridictions disciplinaires et administratives.

 

Flavien MEUNIER a également développé une activité importante dans le domaine du droit de la santé (responsabilité civile et administrative, contentieux disciplinaire ordinal).

Il intervient tant en demande qu’en défense pour accompagner les établissements de santé, praticiens libéraux et hospitaliers, et particuliers, dans leurs démarches amiables et/ou contentieuses.

 


Enfin, Flavien MEUNIER a développé une activité importante dans le domaine des produits de santé (produits alimentaires, compléments alimentaires, cosmétiques...).

Il assiste les opérateurs économiques dans le cadre de la formulation de leurs produits, vérifie les étiquetages pour assurer leur conformité réglementaire...

Il accompagne les professionnels dans le cadre de leus démarches vis-à-vis des autorités administratives tant en phase gracieuse (recours gracieux, mesures d'injonction, enquête SNE et DGCCRF) qu'en phase contentieuse (Tribunal administratif, Tribunal correctionnel...).



Me MEUNIER est inscrit à l’Ordre des Avocats depuis décembre 2008 et est associé au sein de la SELARL LEXCAP depuis le 1er octobre 2015.